Lettre du sociologue Serge Bernard à la jeunesse haïtienne.

 

  

                  


             
    

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     

Haïti, le lundi 21 mars 2021

 

Aux Jeunes haïtiens,

Les Répudiés de la République.

 

En cette phase agonisante de la vie de notre nation, l’obligation m’est imposée de vous écrire d’urgence en tant que dignes héritiers ̸ héritières de la République dessalinienne. Je ne l’aurais pas fait si vous n’étiez pas les seuls à qui vous devez vous confier pour le salut d’Haïti.  

Cette année nous rappelle 35 ans depuis que vos pères ont jonché les rues pour procéder aux funérailles du régime dictatorial instauré par les Duvalier. Palmes à la main, s’unissant avec la nature pour chanter la liberté et saluer l’avènement de la démocratie. Quelle erreur de croire que crier la liberté serait la vivre. Car, rien n’est amélioré depuis, si non que la théâtrocratie qui se succède à la dictature. Contrairement aux attentes escomptées, notre société se transforme en un théâtre du crime et un terreau à la corruption au point même de devenir une culture jusqu’à ériger leur royaume sur la terre d’Haïti. L’objectif de tous nos gouvernements est d’abattre la pauvreté mais la pauvreté nous agenouille toujours. Rien n’est surprenant. Ce n’est que les fruits de ce que nous avons semé. Puisque, lorsque la politique de la gérance d’une nation est privée de l’idée sociale, la paupérisation devient la seule fin aveuglément poursuivie.

Partant de là, la jeunesse haïtienne ne doit plus attendre à être responsabilisée, mais doit désormais se responsabiliser. D’ailleurs, elle se fait déjà trop attendre. Pour se faire, nous n’avons pas à prendre position, soit du côté des opposants ou du pouvoir, mais à créer la nôtre ou dessiner notre propre itinéraire digne de nous conduire vers l’Haïti souveraine, l’« Haïti pour Tous ». Sachez que fuir, se résigner ou se faufiler dans la corruption ne serait que profitable aux ʺaloufasʺ et ne ferait qu’envenimer la plaie. Haïti n’est pas à eux mais à Nous. Par conséquent, nous sommes tous soumis aux mêmes contraintes, avons tous les mêmes obligations, autant d’intérêts qu’eux et devons jouir les mêmes privilèges. Nul ne saurait prétendre à la propriété ou à la paternité d’un pays. Défendre sa patrie n’est pas une option mais un devoir de citoyen. Ce qui signifie que nous n’avons qu’un seul insu : nous battre. Nous battre pour une nation qui nous a donné vie, pour une société de laquelle nous décrochons notre identité, pour notre existence, pour l’avenir des prochaines générations, pour un lot de bien-être collectif.

A noter que nous n’avons pas à nous battre contre un homme, mais plutôt contre la pauvreté, l’impunité, les injustices et les inégalités sociales, contre tous ceux qui s’amusent à assassiner l’avenir de la jeunesse, s’adonnent aveuglément au culte de la corruption, ravitaillent ce système fait de disparités sociales. Voulant diablement chambarder ce régime en ultime phase de déliquescence, on croit ne pas avoir d’autre cible que de s’attaquer à ses avant-gardistes. Si le peuple violé voit toujours sa dignité abimée et sa souveraineté effondrée, toute tentative de réappropriation de sa dignité et de son humanité ne peut être exprimée qu’à travers des luttes. La nécessité d’une lutte existentielle se fait donc sentir. Le temps de briser notre bride s’impose au grand jour. Il est temps de panser l’hémorragie haïtienne, de saper le trône de l’indignité. Pas de palliatif. La corruption est à ce système ce que la forme est à la matière. De même, si l’on veut changer de forme, il faut changer de matière ou la tailler, si l’on veut édifier une société sur le socle des valeurs, étant obsolète, la seule alternative possible est de déraciner ce système.  

Sachez que vous ne comptez pas à leurs yeux. Vous n’êtes qu’un instrument au service  de leur quête de pouvoir. On vous greffe la délinquance, vous sculpte en bandits, vous ravitaille en armes et en munitions, fait de vos quartiers des fabriques de violences... et vous châtie après. Voulant étouffer toute solidarité pouvant mener vers la Révolte, on vous apprend à avoir horreur des vôtres, facilite votre fuite. Pauvre diable ! Vous vous croyez vraiment différents.  Cependant, vous êtes tous d’une catégorie sociale répudiée, exilée, abandonnée dans le confinement du désespoir, n’encadrée que par la manipulation et le chômage, et pour laquelle l’existence n’est qu’un pur fantasme illusionnaire sous le qui-vive de la plus grande précarité. Et cette spirale de la précarisation nous abandonne sur le long d’une impasse où l’impossible et l’incertain seuls sont pensables. Passons alors à une bande d’indignés, de révoltés, d’insoumis, de sauveurs.

Permettez-moi de vous rappeler, une énième fois, que vous êtes d’une nation en coma de misère. Nous sommes aux confins d’une impasse, une société de non-sens parfait où seuls les corrompus sont couronnés et les « zombifiés » bénéficient de la survie. Ainsi, l’appareil étatique s’érige-t-il en une école de formation, voire de professionnalisation aux carrières criminelles et le peuple, un réceptacle de morts-vivants. Or, la nation se noie presque. Heureusement, Nous sommes les seuls à pouvoir sauver Notre peuple de la dérive.

 Accepter d’être bannis de la République est pure lâcheté. La démission collective n’est pas une option envisageable. Le forfait ou l’abandon n’est pas une option de combattant. Nous devons seulement « Croire ». Libérons l’imaginaire du pouvoir de la fatalité et de la banalité pour l’habiller de la toute-puissance de l’engagement et de la conviction.

Pour finir, rappelez-vous qu’aucun Français n’avait pas pensé préalablement à la prise de la bastille, les Africains n’avaient pas également imaginé une Afrique du Sud avec des Noirs  et des Blancs à même table, mais ils ont oublié que la fureur du peuple n’a pas de frontière ; tout comme beaucoup ignorent l’idée de l’ « Haïti souveraine » et la perçoivent comme un miracle impossible, mais ils ont oublié que le monde n’a jamais aussi rêvé le 1804. La conviction et l’engagement, voilà ce qui nous manque. Nous fuir ou nous résigner ne saurait guérir la plaie. D’ailleurs, nous avons plus de deux siècles depuis que nous berçons la résignation et la fuite. Que le compte à rebours de la Révolution commence ! 

 

 

Serge BERNARD, le Jeune Révolté.

                              Sociologue, activiste politique.

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