Le Campus Henry Christophe de Limonade : Un patrimoine national en panne de gestion.

Après le passage du séisme dévastateur du 12 Janvier 2010 en Haïti, ayant occasionné plus de 230 000 morts (Nouvelliste, 2019), tout portait à croire que cette hécatombe offerte par ce cataclysme était due aux constructions anarchiques ne respectant aucune norme d’habitabilité. Ce faisant, la République Dominicaine a décidé d’offrir un Campus universitaire à Haïti, en hommage aux victimes. Ce campus aurait pour mission de former des cadres, en fonction des besoins essentiels de la société haïtienne, dans les Sciences Humaines et Sociales et surtout, dans le monde de la technologie. L’objectif enviagé était de penser une société prospère, émergeante et de savoir comment et où doit-on construire afin de mieux se parer aux catastrophes naturelles. Après une longue plaidoirie avec les ténors de Port-au-Prince, il a été décidé que l’université soit construite dans le Nord.     

Ainsi, après une période de 6 mois de construction, le campus a été inauguré le 12 janvier 2012 et fonctionnel en novembre de cette même année. Mais, que devient-il le Campus Henry Christophe de Limonade après ces 8 ans ? Que fait-on, jusqu’ici, de ce patrimoine symbolisant l’espoir de toute une région et la fierté de toute une République ?

  • Le Campus Henry Christophe de Limonade de novembre 2012 à nos jours 

  • Depuis l’ouverture de ses portes, un conseil de gestion provisoire de trois membres a été placé à la tête du Campus en vue de le sculpter en un véritable temple du savoir. Cependant, depuis lors, le campus a été le théâtre d’une série de turbulences à intervalle régulier. Aucune session n’a jamais été bouclée sans qu’il n’y ait eu de grèves, lesquelles pouvant paralyser les activités académiques même pendant 3 mois successivement. Ces manifestations étaient dues à l’absence de cursus académique et pour avoir été une entité de facto de l’UEH. Alors, les étudiants se battaient pour l’élaboration d’un cursus universitaire relatif à chaque département et pour que le Campus soit une entité de l’UEH. Disons, tout a été réduit à la beauté des bâtiments. Frustrés quant à leur avenir et furieux par les mensonges démesurés des dirigeants, les étudiants, ont souventes fois, barricadé la route nationale # 6, afin que leur voix puisse parvenir au plus haut niveau de l’Etat. Malheureusement !

  • Plusieurs structures ont été créées par les étudiants afin de mieux formaliser leurs revendications : Ligue des Etudiants de l’Idéal Christophien (LETIC), Mouvman Kolèktif Etidyan (MKE) ... Au lieu de satisfaire les revendications, les responsables ont  essayé de tout broyer, en achetant la conscience des leaders. La sérialisation de turbulences s’est maintenue en scène, en s’offrant d’autres épisodes plus émouvants. Mais les concernés étaient encore muets et sourds. La réponse aux nobles revendications des étudiants était toujours la mobilisation des unités de la Police Nationale d’Haïti (CIMO, UDMO) et de la MINUSTHA pour nous encercler et nous parfumer de gaz lacrymogène au sein même de l’enceinte universitaire qu’on prétend sacrée. 

  • En outre, arrivés à un certain temps, ils ont même interdit l’espace aux étudiants. Des agents de l’ordre équipés d’armes automatiques ont été postés à des points stratégiques, prêts à appuyer sur la détente et à faire l’usage abusif du gaz lacrymogène. C’en est loin d’être une simple stratégie de faire semblant quand on se souvient de l’étudiant Johnny Arison ayant été atteint d’un projectile à la mâchoire au sein même de l’université et de la pauvre marchande ambulante abattue par un agent de l’UDMO. Il est à noter que la balle a été dédiée à un étudiant, mais celui-ci a été sauvé de justesse. Malgré, aucune satisfaction n’a été formulée, voire offerte par les dirigeants. Leur arrogance et leur insouciance ont carbonisé leur conscience et leur sens d’humanité. Au contraire, ils ont déclaré à travers les médias qu’il ne s’agissait pas de manifestations des étudiants, mais l’œuvre d’un petit groupe mafieux ayant pris l’université en otage. C’est alors que la société civile a commencé par prendre conscience de la triste réalité que traversent les étudiants du Campus. Et les débats que soulève ce drame  ont poussé les responsables du rectorat à réagir. 

  • Un nouveau conseil de gestion, les mêmes défis persistent 

Trois ans plus tard, soit en 2015, comme palliatif, le premier conseil de gestion a été mis à pied par le rectorat et en a imposé un nouveau de même effectif, sans moindre concertation avec les professeurs et les étudiants. Il a été  mandaté à mettre fin à ce cycle de turbulences dont le CHCL a été le théâtre. Mais ce que le rectorat a ʺoubliéʺ, terroriser n'est pas stabiliser. On pense comprendre que le CHCL a trouvé son calme, pourtant, c’est un calme voilé d’hypocrisie et maintenu par une violence institutionnalisée. Les mensonges ne sont plus transmis dans la douceur mais imposés. La terreur se succède à la tolérance. Mais pas le sérieux à la plaisanterie. Car l’ignorance se trône toujours. Les seules réalisations dont ce nouveau conseil peut se vanter, c’est : d’abord, d’avoir changé le nom de l’université passant de Campus Henry Christophe de Limonade (CHCL) au Campus Henry Christophe de l’Université d’Etat d’Haïti à Limonade (CHC-UEHL), ensuite, expulsé 4 étudiants et de menacer d’en expulser trois autres, enfin. Pour rappel, le changement de nom confirme le droit de propriété. Doit-on croire qu’ils se sont approprié depuis du contrôle du Campus ?      


  • D’une situation préoccupante et insoutenable 

           De jour en jour, l’image du Campus se détériore. Les images décevantes véhiculant sur les réseaux sociaux semblables aux vestiges d’un bâtiment abandonné en sont les preuves tangibles. Les tests du concours d’admission sont vendus aux enchères comme de la pâtisserie à travers les coins. Je suis sûr que cette dernière promotion serait graduée et ʺl’enquête se poursuitʺ. Peut-être, qu’il a été révélé au vendeur en vision. Certains problèmes soulevés par la première promotion depuis 8 ans, demeurent encore. Pris dans le sens de la philosophie sartrienne (1996), cette mauvaise foi et cette absence d’esprit du sérieux seraient même une preuve d’habileté à diriger en Haïti et que l’administration publique haïtienne serait conçue comme une école de formation, voire de professionnalisation aux carrières criminelles. Peut-on oser prétendre que ce conseil de gestion gère quelque chose ? 

          Depuis 2013, ils nous ont dit qu’une somme d’argent a été débloquée pour construire des dortoirs en vue d’héberger les professeurs et les étudiants. Jusqu’à présent, les dortoirs sont dispersés dans le bourg de Limonade, Village créole, Trou-du Nord et leurs environs. Quand les étudiants exigent des conditions convenables à leur apprentissage, à la moindre erreur, on fait appel à un certain règlement, mais quant à la dilapidation des fonds relatifs à la construction des dortoirs, le règlement est muet ; quant au gaspillage des fonds pour la réhabilitation des bâtiments, il n y a pas de règlement ; quant à la disparition des matériels dans le bâtiment de laboratoire et autres vices des dirigeants, il n’y en a aucun. Entre leur arrogance et l’intérêt du campus, que gèrent les membres de ce conseil de gestion en réalité ?              

   

  • Appel aux anciens étudiants du Campus et aux communautés du Nord & du Nord'Est

Chers collègues combattants, anciens étudiants du Campus, personne d'autre ne doit pas être plus préoccupé par la cause du Campus que nous. Le Campus d'aujourd'hui est le fruit de nos immenses sacrifices d’hier. Souvenez-vous des calamités que nous avons endurées jour et nuit, s'étalant souvent durant des mois : nous avons passé des jours à jeun ; dormi par terre sur des morceaux de carton, au pied du portail du Campus ; nous avons été parfumés de gaz lacrymogène au sein même de l'espace, atteints par des projectiles, et même barricadés par des agents de l'UDMO et de la MINUSTHA comme des bandits, pour avoir tout simplement exigé des conditions convenables à notre apprentissage. C’était tellement horrible que certains d'entre nous dont leurs parents ont une certaine capacité économique ont dû se retirer de ce "lòbèy" pour se faire inscrire dans une université privée. D'autres, comme Nous, n'avons eu qu'une option, SE BATTRE. Comme aurait dit Jean Charles Falardeau (1952), on ne peut se permettre à des dirigeants insouciants de détruire une telle université qui est un lieu suprême où doit s’exprimer et se purifier constamment notre civilisation. 

Chers Nordais (ses) et Nordésiens (nes), sans le Campus, plusieurs milliers de vos fils et filles diplômés n'auraient pas pu avoir leurs diplômes en main ; sans le Campus, des milliers d'autres en cours de leurs études auraient été abandonnés dans les rues ; sans le Campus, vos milliers éventuels postulants auraient été sans espoir. ʺLavi Pòtoprens pa fasilʺ. Le campus est notre patrimoine. L'on est tous concernés, l'on a tous un mot à dire, l'on a tous un intérêt commun à défendre. L’université n’a pas seulement pour but d’instruire et de faire des recherches, sa fonction la plus fondamentale revient à ʺservir la communautéʺ. C’est l’essence même de sa mission sacrée (Gaëtan Tremblay, 2012). Le Campus vous doit du service. Battez-vous pour ce qui vous est dû, réclamez-vous du campus ce lot de services qui vous revient dignement. Ce combat n’est pas seulement celui des étudiants du Campus, c’est également celui de toute la société haïtienne. La formation de l’étudiant s’inscrit dans une durée, mais le service à la communauté ne se mesure pas au gré du temps. C’est pourquoi dit-on que l’université est une industrie servant à alimenter le marché commun de la pensée d’une nation (Jean Jules Richard, 1973).    

  • La tolérance est sœur de la culpabilité 

Pour finir, je tiens à préciser que je n'ai absolument rien contre les dirigeants et nulle intention de cautionner les violences des étudiants. Cependant, quand on répond une violence par une autre violence, ce n’est que de la légitime défense. Puisque la violence ne s’incline que devant une plus grande violence (Fanon, 1952) et seuls les vivants morts tolèrent l'injustice. L’on est tous autorisés à se défendre des griffes de l'oppression. C'est un devoir sacré et un acte existentiel.  

Je sais que j'écris toujours au risque de devenir une cible idéale pour les oppresseurs, mais le sens du devoir qui m'anime est plus fort que la peur qui m’espionne. Car l'écriture sans conviction n'est que vaine littérature et quand la plume flatte l'orgueil des Chefs, elle ne fait que vomir sur la dignité de la nation. Dire la vérité n’est pas une option de vie mais une exigence citoyenne. C’est pourquoi, je n’ai peur que d’une chose, le  silence aux injustices. Il est suicidaire à la dignité humaine. Donc, l'intellectuel ne se réduit pas aux papiers, mais à son sens de service vis-à-vis à sa communauté, en vue de préparer une table bien garnie aux prochaines générations. Chers dirigeants du Campus, préférez-vous briser la table ?

                                             Serge BERNARD, 

                                                 Licencié en sociologie au Campus Henry Christophe de Limonade ;

                                                 Etudiant en science juridique à l’UEH ;

                                                        Activiste politique, Blogeur ;

                                                 Facebook/Twitter: Serge Bernard de Mazamby;

                                                 Email: bernardserge38@yahoo.com    

  • Références


  • Falardeau, J. C. (1952). Les universités et la société. In Carrefour, pp. 45-56

  • Fanon, F. (1952). Peau noire, masques blancs.  Paris, Seuil, 260 p.

  • Richard, J. J. (1973). Comment réussir a 50 ans. Montréal, éditions de l’Heure, 168 p

  • Saint, N. (Janvier 2019). Le 12 janvier 2010 et le désastre social. Le Nouvelliste. 

  • Sartre, J-P. (1996). L’existentialisme est un humanisme. Paris, Gallimard.  

  • Tremblay, G. (2012). Le rôle de l’université dans le développement local. Presse de l’université de Québec. 272 p.  

 


  • ANNEXE : Campus Henry Christophe de Limonade (Photo de couverture de l’article)

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